Le paysage électoral de l'Afrique en 2024 : Un bilan à mi-parcours

Par Tayuh Ngenge, directeur du NIMD Renforcer l'infrastructure démocratique thème principal
Annoncée comme une année de super élections (UIP), 2024 est une année d'échéances électorales majeures, y compris dans au moins 17 pays d'Afrique. À mi-parcours, des élections présidentielles ont eu lieu aux Comores (janvier), au Sénégal (mars), au Tchad et en Afrique du Sud (mai). Au moins 13 autres pays devraient organiser des élections présidentielles entre juin et décembre, au cours desquelles les sortants conserveront le pouvoir ou le céderont à de nouveaux venus.
Le président des Comores, Azali Assoumani, et le président du Tchad, Mahamat Deby, deux personnages au pedigree militaire, ont été réélus malgré une contestation généralisée et parfois violente des résultats. Le Sénégal a élu Bassirou Diomaye Faye (44 ans), le plus jeune président de son histoire - un résultat stupéfiant et des plus imprévisibles, puisque dix jours auparavant, il était prisonnier politique et la démocratie sénégalaise au bord de l'effondrement. Après des pertes électorales sans précédent la semaine dernière, le parti au pouvoir du président sud-africain Ramaphosa, le Congrès national africain (ANC), doit maintenant partager le pouvoir dans son tout premier gouvernement de coalition - un nouveau test pour le système politique et la démocratie sud-africains. Qu'est-ce que les scrutins nationaux organisés jusqu'à présent nous apprennent sur l'état des élections et de la démocratie sur le continent ?
Les élections en Afrique restent complexes et désordonnées
Dans la mesure où les partis au pouvoir bénéficiant d'un fort avantage au niveau du pouvoir en place ont subi des pertes importantes, les élections au Sénégal et en Afrique du Sud illustrent tout de même une victoire pour la démocratie.
Pourtant, le scrutin sénégalais - compte tenu de la crise et des tensions qui l'entourent - met en lumière la fragilité de la démocratie dans des contextes où elle a souvent été considérée comme acquise et consolidée. Les manœuvres politiques du président sortant Macky Sall, vraisemblablement pour prolonger indûment son mandat ou au moins influencer le scrutin au profit du porte-étendard de sa coalition au pouvoir, ont presque ruiné les antécédents démocratiques du Sénégal. Comme au Mali, au Bénin ou au Niger avant lui, le Sénégal montre ainsi les limites de la démocratie. Samuel HuntingtonLe test des "deux tours de scrutin" pour évaluer la qualité de la démocratie d'un pays. Par-dessus tout, il nous indique que l'autosatisfaction démocratique - si l'on peut dire - est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.
La démocratie - consolidée ou non - est plus qu'un prix à conquérir et à laisser dormir. Nous devons plutôt la comprendre comme un processus permanent qu'il faut constamment nourrir et dont il faut s'occuper même si, en apparence, il n'y a pas d'impératif en ce sens. La situation électorale nous rappelle douloureusement que plus de 30 ans après la troisième vague de démocratisation, le projet démocratique africain reste une mosaïque de progrès et de reculs.
En toute honnêteté, un plus grand nombre de titulaires que par le passé ont cédé le pouvoir à la suite d'une défaite électorale ces derniers temps dans toute l'Afrique. D'autres ont cédé aux pressions exercées par la limitation des mandats constitutionnels. Pourtant, rares sont les élections africaines qui se déroulent sans crise ou qui répondent aux normes internationales en matière d'élections démocratiques. Des formes plus sophistiquées de truquage ont remplacé celles d'antans des pratiques rudimentaires de bourrage d'urnes. Les contestations des résultats - même si elles passent de plus en plus par les tribunaux plutôt que par la rue - restent courantes et, dans certains cas, violentes. Les élections présidentielles, dont les enjeux sont considérables et où le vainqueur rafle tout, sont les plus problématiques, et plus encore dans le cas des scrutins dits "sortants", où les présidents en exercice sont également candidats.
À l'aube du second semestre 2024, alors que treize autres courses présidentielles se profilent, cette triste réalité doit nous faire réfléchir, et ce pour de bonnes raisons. Plus de la moitié de ces courses se dérouleront dans des contextes d'extrême fragilité démocratique ou dans lesquels des candidats sortants aux tendances autoritaires seront en lice. Il s'agit notamment du Rwanda, de la Tunisie, de la Guinée-Bissau, du Somaliland, du Sud-Soudan, de la Guinée et de l'Algérie.
Le retour du coup d'État
L'Afrique est également témoin de la résurgence et de la normalisation des coups d'État militaires avec des putschistes qui ne semblent pas pressés de retourner dans les casernes. Les chefs militaires du Mali et du Burkina Faso ont gelé pour une durée indéterminée les scrutins prévus en février et en juillet de cette année, promettant une date ultérieure, mais ne laissant planer aucun doute sur leur intention d'être candidats lorsque cela se produira. Il n'est pas certain, mais très probable, que le colonel guinéen Doumbaya, qui s'est récemment proclamé général, sera candidat aux élections de décembre. Au Niger et au Gabon, les putschistes sont également aux commandes, tandis que la RDC a récemment évité une tentative de coup d'État.
Ce qu'il faut faire
Ces sombres perspectives, non seulement dans les courses restantes mais plus largement, soulignent pourquoi, en tant que démocrates, nous devons redoubler d'efforts pour promouvoir et protéger la démocratie.
Heureusement, les récentes élections en Afrique du Sud et au Sénégal permettent de tirer des leçons précieuses à cet égard. Il s'agit notamment du pouvoir d'une société civile vigilante, informée et active, d'institutions fortes (telles que les tribunaux) et de partis politiques. Dans les deux pays, un ou plusieurs de ces éléments ont fait contrepoids aux attaques contre la démocratie elle-même ou les valeurs qui la sous-tendent, ce qui a entraîné des pertes électorales pour les partis au pouvoir responsables.
Le Sénégal, par exemple, illustre la manière dont une société civile forte, une opposition politique résistante et une cour constitutionnelle courageuse se sont opposées sans crainte et ont finalement permis d'obtenir des résultats spectaculaires dans un contexte politique et électoral complexe. De son côté, l'Afrique du Sud montre comment une population informée et une opposition politique solide et résistante ont progressivement réduit la domination d'un ANC autrefois populaire, aujourd'hui surtout associé à la corruption et à l'inefficacité.
Il est donc crucial d'étendre et de renforcer le soutien à ces acteurs et institutions en tant qu'agents de changement essentiels. C'est précisément ce que fait le NIMD à travers son soutien inclusif aux partis politiques dans certains de ces contextes, par exemple au Burkina Faso, au Mali et au Somaliland, où les élections présidentielles sont prévues en novembre.
De même, au Burundi, qui organise des élections législatives l'année prochaine et des élections présidentielles en 2027, le NIMD s'attaque déjà à ces défis. Par exemple, il renforce les capacités des partis politiques et des organisations de la société civile pour s'assurer qu'ils peuvent relever les défis critiques et jouer un rôle significatif et constructif dans les élections prévues.
Pour en savoir plus sur le travail de la NIMD en faveur de démocraties fortes au Burundi, au Somaliland, au Burkina Faso, au Mali et dans d'autres contextes à travers le monde, cliquez sur le lien suivant ici.